Un projet de référentiel de labellisation des manuels de lecture en CP et CE1 a été écrit par le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN : créé en 2018 par le ministre Blanquer, présidé par le neuroscientifique Stanislas Dehaene).

Le ministère affirme que ce projet « s’appuie sur les travaux scientifiques pour proposer et décrire précisément les critères des contenus attendus dans un manuel scolaire pour permettre aux professeurs d’accompagner les élèves dans un apprentissage efficace de la lecture ».

Comme les affirmations du CSEN sont souvent reprises sans discernement dans les départements (DASEN, IEN…) alors qu’elles sont pour une grande part infondées scientifiquement, voici la contribution de la FSU-SNUipp sur le projet de référentiel, afin que les arguments scientifiques avancés puissent servir partout où cela sera utile. Cette analyse a été adressée au ministère avec le rappel clair de notre opposition au principe même de labellisation des manuels.

Contribution FSU-SNUipp envoyée au Dgesco suite à la publication du référentiel :

La communauté éducative a déjà exprimé son opposition en CSE au processus de labellisation des manuels scolaires. Les motifs de notre opposition résident tant dans la défense d’un métier de conception que dans le jugement d’une faible valeur pédagogique que produirait le respect de la grille élaborée par le CSEN.

Vous nous demandez aujourd’hui de nous prononcer sur la grille de labellisation des manuels de lecture du CP et CE1. Disons le clairement : cette grille entre en contradiction avec un certain nombre de consensus scientifiques et de recherches récentes portant sur l’apprentissage de la lecture.

La grille sous tend une stricte séparation des activités liées au décodage et celle relevant de l’étude de la morphologie flexionnelle et dérivationnelle. Or la conférence de consensus du CNESCO, présidée par Maryse Bianco, rappelle dans ses conclusions que “les deux voies de la lecture [directe (morphologique) et indirecte (graphophonémique)] se développent simultanément et de manière interactive sous l’influence de la construction explicite des règles de formation des mots et de leurs correspondances sonores et de l’apprentissage implicite des régularités de l’orthographe et des transcriptions orthographe-phonologie”. Ainsi “Des codes orthographiques infra-lexicaux sont formés et sont suffisamment robustes pour activer les informations sémantiques correspondantes indépendamment de la phonologie.” Le rapport de synthèse rappelle que “les chercheurs considèrent donc aujourd’hui que le système d’apprentissage de la lecture et de ses deux routes, est un système interactif composé de trois pôles : phonologie, sémantique et orthographe. La voie graphophonologique établit les liens entre l’orthographe et la phonologie et la voie orthographique établit les mêmes liens via le pôle sémantique.”

Ceci implique une confrontation précoce avec des marqueurs morphémiques, et donc la rencontre de mots non entièrement déchiffrables. C’est pourtant exclu par la grille, qui impose des textes 100 % déchiffrables uniquement du point de vue des correspondances grapho-phonémiques, et l’absence stricte de mots-outils. La recherche Lire-écrire au CP (2016), dirigée par Roland Goigoux et associant plus de 70 chercheur·es, stipule que les textes ayant plus de 55 % de mots déchiffrables ou identifiables sont plus propices à l’apprentissage de la lecture que ceux avec une proportion moindre. Elle préconise des textes à 70 % déchiffrables (décodage + reconnaissance de mots). Nous sommes loin du 100 % fondé dogmatiquement sur une seule voie de la lecture.

La grille impose par ailleurs une entrée graphémique, fondée sur l’argument d’une plus grande régularité de la langue française dans le sens graphème-phonème. Or cet argument ne dit rien pédagogiquement. La recherche lire-écrire indique elle que “Nous n’avons trouvé aucun effet de la variable caractérisant le sens de l’étude des correspondances graphophonémiques. Que les enseignants procèdent à un travail d’analyse phonologique avant d’introduire les graphèmes correspondants ou qu’ils introduisent simultanément les graphèmes et leurs valeurs sonores conventionnelles, l’efficacité est la même.” Comment justifier un item qui n’a aucune assise scientifique et qui est même contredit par la recherche  ?

De plus, la recherche lire-écrire indique que “le temps consacré à l’écriture sous la dictée (c’est le maître qui choisit ce qui doit être écrit) et celui consacré à l’encodage autonome (ce sont les élèves qui choisissent) exercent une influence significative et positive sur les performances des élèves en décodage.” Ce sont les activités d’encodage qui sont les plus efficaces pour apprendre le code et ce en liant activité de dictée et de production autonome. La grille, encore une fois en rupture avec les acquis de la recherche, n’évoque les activités d’écriture qu’en consolidation de celles de décodage, et exclut la production autonome.

Enfin, la recherche lire-écrire indique que “les classes très acculturantes favorisent la progression des élèves initialement faibles et intermédiaires dans tous les domaines d’apprentissage du lire-écrire.” Les classes qualifiées de très acculturantes sont celles caractérisées “à la fois par un usage important du texte, un souci de varier les types d’écrits, un usage important et diversifié de l’album, et une offre culturelle visant une appropriation personnelle par l’élève.” Ces éléments sont au mieux absents de la grille, au pire contredits par un formalisme tant dans la progression que dans la présentation des textes qui évacue une série d’éléments culturels de l’écrit pourtant essentiel.

Les contradictions importantes de cette grille avec les consensus scientifiques sont le témoin d’une vision dogmatique de l’apprentissage de la lecture qui, si elle s’imposait, contribuerait à l’augmentation des inégalités d’apprentissage. Outre notre opposition à toute forme de labellisation, nous vous demandons expressément de renoncer à cette grille.

La labellisation des manuels est une des mesures du choc des savoirs. Dans les premières annonces, l’achat de manuels labellisés devait être obligatoires pour le français et les mathématiques en CP et CE1.

Le ministère est revenu sur cette obligation. Les enseignant·es ne seront pas tenu·es d’acheter des manuels labellisés. Par contre les fonds engagés par le ministère pour aider les communes pour l’achat de manuels ne pourront être utilisés que pour des manuels labellisés.

Pour la rentrée prochaine, ces fonds concernent les manuels de CP. Le ministère avait initialement engagé 30 millions d’€ dans cette labellisation, budget qui a été réduit lors des annulations de crédits.

En l’état actuel des choses, il n’y aura pas de manuels labellisés à la rentrée, les éditeurs scolaires ne sont pas en mesure de présenter des manuels à la commission.

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Référentiel des manuels de lecture : la recherche dit le contraire

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